lundi 18 mai 2015

M’HAMED ISSIAKHEM : LE CINEASTE ALI MAROK SE SOUVIENT ET S’INTERROGE


Mois de mai avec ses nèfles, sa menthe fraiche, ses salades et ses épouvantails de jardin fusionnant avec le souvenir térébrant de l’artiste tôt disparu…

Je suis attentivement le flux des paroles d’Ali Marok en les transcrivant du plus vite que je peux, alors que par delà la porte entrebâillée, j’entends le pépiement des oiseaux dans la campagne du sahel … Lumineux jour du 1er mai …

En face de moi, à l’autre bout de la lourde table de la salle à manger, en tee shirt rouge et bob en toile Ali m’invite d’un geste simple à prendre un verre de citronnade nature  préparé par une de ses grandes filles … Dans cet espace où trône un vieux juke-box des années 60, rénové, astiqué, j’ai vraiment une impression d’irréelle réalité devant cet ami au teint d’indien des Andes. Telles les images cuivrées d’un film retrouvé…

Comme d’habitude, Il a préparé ses notes pour notre rencontre: une unique feuille de papier blanc tracée d’une écriture fine et régulière, sans une seule rature ; « pour que je sois au plus près », m’explique-t-il… Au téléphone il m’avait avoué que la remontée des souvenirs sur M’Hamed l’avait étreint au plus haut point. Et que cela lui avait fait même mal, très mal…
A coté de lui, sur la table : ses lunettes de vue ; un stylo ; une traduction en français des Mou’alaqat et un catalogue d’expo de 1986 préfacé par Kateb Yacine « que j’ai retrouvé avec grand peine »

 Ali Marok chez lui, avec, derrière, un de ses portraits de femme voilée et le juke-box
(photo : Abderrahmane Djelfaoui)

L’évocation d’Issiakhem commence par la première rencontre datant juste de trois ou quatre ans après l’indépendance. « J’entendais parler de lui, mais je ne le connaissais pas physiquement. Je n’avais même jamais vu sa photo. Je ne l’ai donc pas connu tôt… »

C’est l’époque où Ali Marok commence à travailler en tant qu’opérateur aux Actualités Algériennes. « Là, j’avais l’opportunité de concevoir des reportages sur l’expo de tel ou tel peintre. Les activités étaient alors nombreuses. Une deuxième génération de peintres arrivait après les Yelles et d’autres anciens. Cette génération de nouveaux était la mienne… Je dois dire que je n’avais jamais eu à faire à un peintre algérien durant la colonisation. A cette époque il y avait une galerie d’art, rue Michelet un peu plus bas que l’église du Sacré cœur. Elle s’appelait la galerie Continchamp dirigée par l’éditeur Edmond Charlot. Y venait Mouloud Mammeri, le seul écrivain algérien que je connaissais de réputation et qui avait d’ailleurs un de ses parents peintre célèbre… J’allais donc à cette galerie en tant qu’assistant caméraman filmer des expositions de peintres dont je n’ai pas retenu le nom… Certainement que Sauveur Gallièro devait être parmi eux… Mais ça ne me préoccupait pas ». Sauveur Gallièro aura été avec Mohammed Racim, à Alger, celui qui orienta le jeune Issiakhem arrivant de Relizane dés 1947, soit quatre ans après le terrible accident qui avait couté la vie à ses jeunes sœurs et lui avait fait amputer le bras ……

Autoportrait. 1949. Huile sur contreplaqué.40,7 x 32,3.
(Collection du Musée National des Beaux Arts d’Alger)


PREMIERE ET DERNIERE ALTERCATION AVEC ISSIAKHEM.

Ali Marok se souvient avec nostalgie et un sourire requinquant, à la fois, des rencontres avec les jeunes gens de sa génération cinquante ans auparavant… Parmi eux il y avait les peintres Fares, Chegrane, Oulhaci, Ali-Khodja, Smail Samson, Bourdine, Nedjar…
« Tous se plaignaient de la précédente génération de peintres qui avait fondée l’UNAP et la dirigeait. Tout le monde se plaignait en particulier de Yelles… Alors dans mon enthousiasme, je me suis dis : je vais les aider… La galerie de l’UNAP n’était pas loin des Actualités et, à l’époque, j’habitais rue Duc des cars ; j’étais donc un peu mon sur territoire quand Je passais à la galerie et que j’écoutais ces jeunes dont beaucoup avaient été les élèves de Sahouli, enseignant à l’Association des beaux arts qui les avait beaucoup aidé…
« Lors d’une de ces réunions où je me trouvais en passant, un homme m’interpelle durement, violement… C’était Issiakhem qui me reprochait de filmer certains peintres, les jeunes et pas d’autres… Ce qui était faux ! Je n’avais aucune préférence picturale. Je ne faisais aucune discrimination, ce n’était pas mon domaine. La seule chose qui m’importait était mon métier. Pour moi les actualités cinématographiques auxquelles je participais, étaient plus importantes que la télévision qui démarrait…  Le cinéma avait de l’impact. On pouvait montrer au grand public des salles de cinéma une autre face de la culture algérienne naissante. Même s’ils n’y connaissaient rien, comme moi ils découvraient… Et Issiakhem croyait que je faisais du favoritisme… Que je faisais partie d’un clan…
« Quand Issiakhem eut fini de déverser sa méchanceté, j’ai fait le tour de la table.je me suis bien campé en face de lui et je lui ai dit: M’Hamed, ce n’est pas parce que tu es manchot que tu me fais de la peine. Si tu continues à m’insulter, le hadjouti que je suis va te casser la gueule !...
« Silence… Il y avait du coté d’Issiakhem le sculpteur Demagh, de Batna, qui a l’époque habitait chez M’Hamed. C’est lui qui a mis le holà à cette altercation. Ca s’est arrêté là…. 

« Quelques jours après cet évènement, je rencontre Mustapha Neguache, un proche d’Issiakhem, qui me demande de tout lui raconter… Une fois mis au courant, il me dit : je crois que M’Hamed faisait sa comédie pour la galerie. Ce n’est pas à toi, mais à d’autres qu’il en voulait. Sinon il t’aurait dérouillé… Comment ça il m’aurait dérouillé?!!.. Mustapha me révèle alors que M’Hamed était doté d’un coup de poing américain. Une arme redoutable…
« Après quelques temps, on a commencé à se voir M’Hamed et moi à l’UNAP, normalement. On se saluait, on se serrait la main… Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris qu’en fait c’était aux vieux de l’association qu’il en voulait vraiment…»

Dessin d’Issiakhem paru en page 2  d’Alger républicain, le 30 avril 1963

 « MON QUESTIONNEMENT SUR LA FORMATION DE M’HAMED…»

« Bien plus tard après cette altercation, nous sommes devenus de bons potes sans être amis. C’est ainsi, par exemple, de tous les peintres que j’ai connus, le seul à m’appeler lorsqu’il avait besoin de photos de famille, était Issiakhem. Mais lorsqu’il voulait prendre contact avec moi, il le faisait presque toujours par l’intermédiaire d’Ali Kerbouche qu’il m’envoyait en émissaire. Il aurait pu me contacter par les peintres Bourdine ou Hakkar. Non. Il choisissait toujours Ali Kerbouche qui n’est autre que l’élève des maîtres Racim et Temmam, lui-même élève de Omar et Mohamed Racim; Kerbouche devenu lui aussi à son tour miniaturiste reconnu… »

Le peintre M’Hamed Issiakhem et le miniaturiste Ali Kerbouche

« Cette amitié entre un peintre moderne, d’audience internationale, et AliKerbouche de la lignée de la peinture traditionnelle algérienne qu’est la miniature, m’a toujours laissé songeur même si ce dernier a été à Florence pour finaliser ses études…
« Pour moi, en tant que peintre moderne, Issiakhem est le seul qui ait une connaissance parfaite du dessin et possédait une telle dextérité dans le tracé de la ligne…C’est une dextérité presque parfaite à l’image de peintres mondialement connus qui maitrisent au plus haut point le trait, comme Picasso… Il n’y a qu’à voir ses dessins au fusain…»

Nu (Femme debout). 1949. Fusain sur papier.  63 x 48 cm.
(Collection Mesli)

« Ceci dit, pour moi Issiakhem, peintre moderne révérait autant l’art traditionnel algérien qu’il révérait Goya, Gauguin, Van Gogh ou Picasso. Je dis ça alors que j’aimais beaucoup plus l’homme que sa peinture. Je dois  reconnaitre, avec mon regard intérieur, mon regard d’aujourd’hui que si son œuvre m’agresse, lui en tant que personne me fait du bien…D’ailleurs, mes modestes moyens, je n’ai jamais voulu acheter une toile ou un dessin d’Issiakhem sachant très bien qu’il n’accepterait pas d’argent de ma part…»

Déjà bien avant la présente évocation, Ali Marok m’avait fait part de son étonnement comme de ce qu’il pensait du rapport étroit, intime et de longue durée qu’entretenait M’Hamed Issiakhem avec les meilleurs tenants de la miniature et de l’enluminure algérois. Cela alors qu’il développera toujours des liens forts et fouillés avec la peinture moderne notamment à l’occasion de son long séjour à Paris durant les années 50 où il aura, entre autres professeurs, un enseignant du nom de Legueu, handicapé lui aussi de l a main, selon des informations rapportées par Ali Kerbouche…
Chez Issiakhem,  dit Ali Marok, ces deux lignées s’interpénétraient de façon vivante, sans jamais s’exclure. Ce qui est surprenant quand on sait que, même si sa famille était une famille de commerçant aisé, le jeune M’Hamed adolescent n’avait pas pu avoir de rapports sérieux avec l’étude de l’art musulman à Relizane qui était alors une commune de plein exercice, c'est-à-dire dont la population coloniale, importante, riche, dominante imposait sans exclusive ses volontés, son mode de vie, « ses goûts »….

Une des pochettes réalisée par Issiakhem pour la série de disques "La voix de l'Algérie"

Ali, à propos de ce croisement perpétuel des lignées artistiques dans la vie d’Issiakhem, se souvient bien « d’un fait de détail », et ce à la veille même du décès de M’Hamed. « Il avait fortement insisté auprès de sa femme Nadia pour qu’on contacte sur le champ le peintre Bourdine et le miniaturiste Kerbouche pour qu’ils viennent le voir ». La veille de sa mort…
Ali Marok, souligne alors que M’Hamed était pareillement lié au peintre Mohamed Louial comme au miniaturiste Mohamed Temmam, tous deux d’une grande finesse d’éducation, de pudeur et de discrétion. Les deux étant par ailleurs conservateurs de musée : Louial, du Musée du Parc Montriant et Temmam de celui des Arts islamiques et traditionnels. « Temmam était aussi très lié à Kateb Yacine qui lui rendait souvent visite à domicile accompagné de son épouse ». Ce qui, me rappelle par incidence le travail d’interview commencé par Kateb Yacine avec le maître El Hadj M’Hamed El Anka ; un important travail sur la mémoire qui s’il resta inachevé, a été heureusement mis en ligne  sur les réseaux sociaux…      


LE CARDINAL….

« Un jour je tombe sur un article du grand reporter Halim Mokdad qui avait pour titre Le Cardinal, et je me demandais : mais comment El Hadj M’Hamed El Anka, lui si pointilleux et  si jaloux de son art, avait-il pu accepter de se laisser qualifier en tant que Cardinal ?…. Parce qu’il était évident que Halim Mokdad, avant de publier son article, avait du le soumettre au maître…
« En fait celui qui avait déjà osé faire cela c’était un peintre ! Car qui d’autre pouvait faire en même temps les portraits de Hadj M’Hamed El Anka et celui du Cardinal Duval ? Et dans les deux portraits sans aucune tristesse, y mettre toute l’authenticité du caractère ? Leur vérité, l’un avec l’habit d’église et sa coiffe,  l’autre noble avec sa gandourah et sa chéchia. Semblables, presque l’un et l’autre… Tous deux travaillés avec amour, avec humanisme !... Je sais puisque je connaissais Monseigneur Duval et que j’avais monté une exposition sur El Anka…

Cardinal Duval. Première esquisse au crayon sur papier

Peinture

« Alors comme je faisais un livre sur Alger, je l’ai ouvert sur une dédicace aux deux: « A la mémoire de Cheikh M’Hamed El Anka et de son Eminence le Cardinal Duval. Aux deux cardinaux d’Alger. A chacun sa foi, à chacun ses fidèles, un amour partagé : Alger »

LA FIN ?

Ali Marok eut bien d’autres rencontres avec M’Hamed Issiakhem et pourrait multiplier les anecdotes qui éclairent le caractère profond du personnage, tel sa participation à la détermination de portraits-robots ou encore, bien avant sa maladie, lorsqu’il l’appela dans sa maison de Bainem pour lui faire une photographie en compagnie de sa mère : « … C’était un enfant assis auprès d’elle. Et la mère près de son fils. Il y avait une plénitude partagée entre cet homme et cette femme habillée de façon traditionnelle qui avait une attitude noble et digne… J’ai senti son bonheur comme si c’était moi… Je sentais qu’il était comme un enfant qui retrouve sa mère… On sentait  leurs retrouvailles et le pardon… Et personne d’autre que eux deux… »
« J’ai d’ailleurs saisi cette occasion pour lui demander d’autorité de faire une autre photographie. Il était dans sa ‘abaya blanche. Seul, il s’est mis devant le chevalet avec ses outils. La toile était blanche… »

Ali Marok, méditant (Photo Abderrahmane Djelfaoui)


A nouveau Ali Marok me rappelle que l’évocation de M’Hamed Issiakhem lui fait mal… Je lui demande s’il peut vraiment dire pourquoi… 
Les coudes sur la table et après avoir un bon moment médité silencieusement en tenant sa tasse de thé contre son front, regard baissé, il relève vers moi son regard et dit :
« S’il y a un personnage qu’on peut rapprocher de M’Hamed dans la souffrance et le travail artistique c’est, je crois, Mohamed Zinet… Pourquoi ?...
« M’Hamed est mort d’un mal terrible qui est le cancer du sang. Zinet est mort tout aussi terriblement, mais des années durant dans un hôpital spécialisé, abandonné de tous sauf par sa femme et son enfant. Il avait perdu la mémoire… 
« Pour ce qui est de M’Hamed, ce qui m’avait révolté c’était que, encore malade, on avait balancé publiquement dans les journaux sa photo sous chimiothérapie, cadavérique… Qui pouvait tirer plaisir d’un tel regard malsain?..

Long silence. Puis, comme s’il avait intérieurement décidé de déjouer le sort de la souffrance, et ne pas parler que de la souffrance, Ali « se ramasse » pour conclure.

« Quand tu remontes la carrière d’un monstre de la peinture comme Picasso ou même celle d’un Toulouse-Lautrec au dix neuvième siècle, autre handicapé par sa toute petite taille, tu sais quel est le maitre de l’un, de l’autre… Mais quel est vraiment le maître de M’Hamed ?...
Personnellement, je pense que son maître réel, son maître spirituel est Kateb Yacine. Pas seulement la personne de Kateb ; - on le sait, M’Hamed et Yacine étaient frères siamois. Mais c’est surtout son œuvre poétique et romanesque, en particulier NEDJMA qui a été le grand inspirateur... Ces livres, et ce livre, inclassables et inadaptables cinématographiquement, ne pouvaient être adaptés que par un peintre visionnaire, M’Hamed Issiakhem que Kateb Yacine appelait justement Œil de Lynx… »



Abderrahmane Djelfaoui




mercredi 6 mai 2015

« Créer, ce n’est pas manipuler mais concevoir »

Dernière heure d’expo  (Photo : Abderrahmane Djelfaoui)

L’exposition « 1posture » a pris fin. L’artiste a décroché ses œuvres qu’il a mises sous cellophane, les toiles de peintures comme les sculptures…
Cela fait, que reste-t-il de cette aventure d’un mois entier au Palais de la Culture ? Des souvenirs multiples et foisonnants, certes. Des visites inattendues et des retrouvailles aussi. Même un défilé de mode au final mais, surtout, un catalogue, hors normes…


Des catalogues d’exposition, nous avons bien sur connu ceux des Baya, Issiakhem, Khadda, Koraichi, Ali-Khodja, Hakkar, Mesli et autres que la Galerie Isma-Issiakhem réalisait régulièrement lors de chaque exposition consacrée à un de ces grands noms de la peinture dans les années 80. Et l’artiste Azwaw Mammeri de se rappeler nostalgique à propos de cette période: « Le catalogue était complété d’une affiche et d’une carte d’invitation sous forme de carte postale qui était envoyée par voie postale. Je me rappelle les avoir reçu dans ma boite aux lettres »...


On peut également se souvenir qu’à la Casbah, à Dar Khdaouj el ‘Amia, des catalogues ou cahiers  originaux étaient autoédités en noir blanc par Denis martinez pour ses expos….
Il y en eut également d’autres, réalisés par quelques centres culturels nationaux ou étrangers (dont le plus célèbre était « Le Voyage / Baudelaire-Mokrani » et le restera au vu de sa disparition tragique…



Historiquement, me signale l’universitaire Hamid Nacer-Khodja, le premier catalogue de l’Algérie Indépendante fut celui de la toute première exposition collective de peintres organisée en juillet 1962 avec « un catalogue constitué de 3 pages dactylographiées, agrafées, sans illustration » … Et madame Nadira Laggoune Aklouche de préciser à ce propos: « …le Comité pour l’Algérie Nouvelle, organisation d’intellectuels algériens et européens créée dans le but de lutter contre l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) organise, dès la proclamation de l’indépendance, le Premier Salon de l’Indépendance du 13 au 21 juillet 1962 à la salle Ibn Khaldoun à Alger. L’engagement était spontané et les artistes multiplient les actions qui le prouvent par des ventes aux enchères et des expositions au profit des orphelins de guerre… » [1].


Doc- source : H. Nacer-Khodja

En fouillant dans ma propre bibliothèque, j’ai fini par retrouver prés d’une soixantaine de ces catalogues de différents formats et épaisseurs depuis le début des années 80… Sans compter quelques rares livres d’art réalisés depuis… Et, évidemment, je n’ai pas tout… Avec eux, c’est tout un fil d’histoire, ses bouffées de créativité, d’espoir et de plaisir qui m’envole tel un cerf volant dans le ciel… 

Même si cette production se poursuit de nos jours (entre autre pour Les Ateliers Bouffée d’Art, à Alger,) combien d’artistes jeunes et moins jeunes : peintres, designers, sculpteurs, photographes et autres de l’est, de l’ouest ou du sud du pays auraient aimé avoir cet honneur et distinction de disposer ne serait-ce que d’un humble catalogue de quelques pages à distribuer lors de leur de leurs rencontres avec le public?.... Me reviennent les dires  de l’ami Azwaw Mammeri qui laissait percer son insatisfaction, son amertume : « j’ai beaucoup fait d’expos sans catalogue, par manque de financement. J’aurais voulu y associer beaucoup d’écrits et de regards d’amis par rapport à ma peinture »…

Combien en ont rêvé, vainement, des années durant, (si ce n’est des décennies) et seront pour un certains nombre d’entre eux partis sur la pointe des pieds sans ce signe qui laisse une trace-mémoire sur les rayons d’une bibliothèque  et les CV des auteurs?....

LA CONCEPTION D’UN CATALOGUE

Le catalogue de Mustapha Nedjai pour l’exposition « 1 posture » est quant à lui étonnant, attirant, luisant et imposant… On pourrait encore aligner d’autres bons qualificatifs à son propos ; la raison est qu’il sort de l’ordinaire et qu’il ressemble plus à un livre d’art qu’à un catalogue. D’un design moderne et ambitieux, il est constitué de prés d’une centaine de pages avec des textes critiques ou poèmes signés par pas moins de huit auteurs différents et quelques quatre vingt dix reproductions couleur et noir et blanc des dernières œuvres de Nedjai. Le tout dans une maquette simple et soignée, subtilement  aérée…




« Je ne peux imaginer, dit l’artiste, un catalogue en dehors de ce qu’il contient : sa thématique.  Autant il y a une charge plastique très puissante dans l’expo de 1posture, autant je l’écrème dans la couverture du catalogue pour ne laisser que noir, un noir brillant et un noir mat. De la graphie de l’expo il n’y a rien. Seulement une couleur : le rouge pour le titre d’1posture. Le reste des lettres qui se répètent est un noir brillant sur un fond mat noir. Saisi par les mains, il devient comme un objet précieux. Son brillant noir attire. On est curieux. On veut savoir…On est alors surpris par la qualité conceptuelle  du produit, par sa qualité artistique…»

Photo : Abderrahmane Djelfaoui

« Le problème avec nos infographes c’est qu’ils sont juste formés techniquement comme manipulateurs de logiciels. Les logiciels c’est important mais ça ne suffit pas. L’essentiel dans ce domaine est la formation artistique. Or souvent ils ne l’ont pas… Manipuler un logiciel, même très compliqué, est une chose. Créer est une autre chose… Pour la plupart des infographes la notion du beau est la même qu’ils travaillent sur un catalogue d’entreprise, un catalogue publicitaire ou le catalogue d’un artiste…
« C’est à partir de ce constat que j’ai été obligé, sur mes expos de ces dernières années, à m’occuper moi-même de la réalisation de mes catalogues…  Pour moi, un catalogue est le reflet d’une exposition particulière, celui du travail réellement réalisé par l’artiste, son esprit… Je peux même dire que chez un même artiste, et d’une exposition à une autre, le catalogue nait à chaque fois d’une conception différente… A chaque fois on doit pénétrer la sphère intime de l’artiste, celle de ce moment là, pour donner à sentir son univers
« Même pour les trois livres que j’ai réalisé, les couvertures changent de nature pour chaque ouvrage en fonction du contenu…. Dans Aired, par exemple, j’ai repris en couverture une photo de l’intérieur du livre, mais cette photo je l’ai détourée et retravaillée sur un nouveau fond rouge, un de mes rouge peinture spécialement créé pour ça…»



L’IMPRESSION

« Mon travail de sculpture et peinture sur les têtes était déjà avancé quand je pensais de façon précise à cette couverture en noir mat. Pour l’écriture j’avais d’abord opté pour un gris foncé, parce que je pensais qu’on n’arriverait pas à réaliser ce noir dans nos imprimeries. C’était un problème technique. Quand j’ai constaté que la réalisation en réserve était possible, maitrisable, j’ai décidé de faire les grandes lettres en noir brillant… 
J’ai alors suivi le process en imprimerie. Ce n’était pas nécessaire de le faire du début jusqu’à la fin pour l’ensemble du tirage. On a juste procédé à des essais sur 4 feuillets du catalogue pris au hasard pour vérifier les tonalités et les gammes. C’était bon  et satisfaisant. Ensuite pour la couverture on a fait 3 ou 4 essais pour obtenir le noir qu’on voulait. Ce n’était pas n’importe quel noir… Quand on l’a obtenu, le secret était mis en lumière…. C’était évidemment un noir polychromique réalisé avec Diwan dans sa nouvelle imprimerie de Rouiba.»

La question du catalogue est aujourd’hui au croisement de tous les destins. Compte tenu du manque sidérant de la critique artistique de bon niveau dans la presse quotidienne, compte tenu du nombre excessivement faible de galeries d’art pour les dizaines de millions de personnes représentant la pluralité de la nouvelle société, compte tenu de l’inexistence d’un cinéma documentaire spécialisé des productions artistiques, face enfin au développement impérieux de nouveaux supports virtuels (photo numérique, sites internet, TV privées, etc), comment va se  profiler l’avenir  proche des catalogues d’expositions artistiques qui demeurent un réceptacle incontournable de l’actualité culturelle et humaniste de notre société, de ses conquêtes et de ses innovations ?...

Mustapha Nedjai (Photo : Abderrahmane Djelfaoui)



Abderrahmane Djelfaoui


[1] In «Structures de la réappropriation », http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RDES_058_0111