samedi 29 avril 2017

« Bila Madja Godot » (« En attendant Godot »….) : Abderrahmane KAKI / Samuel BECKETT

Il y a plus de quatre ans, un dimanche de novembre 2012, à Mosta, dans une des ruelles la vieille cité du nom berbère de Tigditt  - si vieille cité dont des pans entiers de murs et de toits croulent encore…. je prenais la photo de cette brunette lumineuse au visage d’enfance à la fois doux et sauvage, qui observe et qui, me disais-je, attend certainement un peut être


Et « ce peut être » se fraye peut être aujourd’hui un chemin  par les contournements laborieux d’une grâce fragile, inattendue, mais porteuse d’une étincelle d’espoir (même si, comme pour l’hirondelle, une étincelle ne fait pas toujours bon feu…)

L’évènement (un mot à sa juste taille, parce que c’est un évènement) : l’institution publique qu’est la Bibliothèque Principale de Lecture Publique a, à l’initiative de madame Hayet Mammeri, Directrice, invité deux personnalités culturelles de la ville (le cinéaste documentariste Mostefa Abderrahmane et le professeur d’université Mansour Benchehida) à intervenir sur leur livre commun « KAKI le dramaturge de l’essentiel », édité il y a déjà plus de onze années…
Evénement, puisque KAKI est l’enfant génial de cette ville ; lui qui à l’âge de 22-23 ans allait adapter en arabe dialectal, en pleine guerre de libération nationale, prés de la populeuse Souiqa de Tigditt, (pour un travail de laboratoire sans public), une pièce fétiche du théâtre mondial « En attendant Godot » écrite en 1952 par Samuel Beckett, auteur irlandais qui ne se verra décerner le Prix Nobel de littérature que dix ans plus tard en 1969…


Première et dernière pages de l’adaptation manuscrite de « En attendant Godot »,  que Abderrahmane Kaki
écrit et rature sur un simple cahier de devoirs mensuels d’écolier de CM1….


MAAZOUZ LE FRERE CADET
Cette adaptation dialectale restera longtemps dans les tiroirs de Abdelkader Ould Abderrahmane, dit Abderrahmane Kaki,  et ne sera finalement montée pour un jeu de scène entre comédiens que dix ans plus tard, par la troupe l’ « Art scénique » dirigée par Ould Abderrahmane Maazouz, le frère cadet de Kaki en 1968...
L’« Art scénique » où jouait aussi Mostefa Abderrahmane ira depuis Mosta avec « Fin de partie », autre pièce de Samuel Beckett, représenter l’Algérie au Festival d’Avignon et y rencontrer avec ravissement un Kateb Yacine qui montait « Le bourgeois sans culotte, ou le spectre du parc Monceau », un spectacle inédit, inclassable puisque la pièce se jouait en marchant pendant une heure (avec les spectateurs) de salle en salle et de couloirs en escaliers du Musée Calvet au centre d’Avignon…

Sur cette photo (1970) de la collection particulière de Mostefa Abderrahmane,
On  voit défiler une partie de la troupe « Art scénique » que Maazouz dirigea de 1969 à 1977 
au centre ville de Mostaganem.  
De gauche à droite : en blanc, Omar Ould Abderrahmane (fils ainé de Kaki, décédé), Djilali Bendani (décédé)
et Khaled Maaza tenant la pancarte.

Maazouz Ould Abderrahmane dans un cliché rare de la collection de Mostefa Abderrahmane

… Pour mémoire, Mostefa Abderrahmane me rappelle que le regretté Maazouz avait joué des rôles dans « La bataille d’Alger » de Pontecorvo, « La nuit a peur du soleil » de Mustapha Badie mais aussi et surtout dans « Les hors la loi » de Tewfik Fares aux cotés de Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine et Mohamed Chouikh (l’autre mostaganémois…)
Maazouz, mordu de cinéma réalisera plusieurs courts métrages dans les années 70 que m’énumère Mostefa Abderrahmane: « La malle », « Aicha ou Es3id », « Avant théâtre », et « Sur la route », tous produits à Mostaganem…
Un amour du cinéma qui était non seulement marque de fabrique de toute une génération d’algériens de la guerre et d’après l’indépendance, mais surtout celui de la famille Kaki, puisque Ould Abderrahmane Kaki, le grand frère, aimait passionnément « Le trésor de la sierra Madre » de John Huston ; « Sur les quais », « Viva Zapata », « A l’Est Eden », « América América » d’Elia Kazan fondateur de l’Actor’s studio avec Lee Strasberg ou « West Side Story » qu’il voyait tous au Ciné Lux de Tigditt face à l’école Jean Maire son école primaire…



« KAKI LE DRAMATURGE DE L’ESSENTIEL »

Au programme de la conférence sur Kaki (qui correspond avec la Journée mondiale du livre et des droits d’auteurs, comme l’explique madame Hayet Maameri), a été projeté un film court réalisé à l’automne 1990 sur Kaki, avec une caméra VHS compact de fortune par Mostefa Abderrahmane…


Ce film est un morceau d’anthologie radieux et émouvant malgré la mauvaise qualité des images, où  l’on voit Kaki parler du théâtre de Samuel Beckett en plein Souk tout en côtoyant les humbles et les pauvres avec qui, jovial et fume-cigarette en main, il échange parfois une blague…
L’évocation se poursuit par une petite interview à Sidi Mejdoub, une plage populaire dans le prolongement du quartier de Tigditt qui est, dit Kaki, « mon lieu de prédilection »… Un lieu chargé d’histoire  portant le nom d’un poète du 16 éme siècle qui confectionnait des « paroles » pour les femmes et dont un sanctuaire est depuis érigé au-dessus du rivage sensé protéger la ville de toute invasion venant de la mer…
Une « prédilection  qui vient de loin », ajoute Mostefa Abderrahmane conférencier, puisque l’homme aux quarante créations dramaturgiques recensées avait, lui né en février 1934 à la rue 34 de Tigditt, avait son enfance durant bu de la poésie populaire déclamée par les femmes comme on boit du lait !

Mostefa Abderrahmane intervenant aux cotés de son ami Mansour Benchehida

Une enfance culturellement privilégiée avec de surcroit un oncle mélomane et flutiste qui l’affectionnait… Son regretté frère Maazouz (décédé au Canada) notait dés les premières lignes de la préface au livre de Mostefa Abderrahmane et Mansour Benchehida : « Kaki n’est pas un homme de théâtre, c’est un phénomène de théâtre […] Déjà dans les années 40, Kaki jouait  des petites saynètes dans le giron du mouvement nationaliste scout et c’est là qu’il prit goût à la pratique dramatique […] Tout le comique de cette époque comportait comme une empreinte du comique de Charlot. Le phénomène Kaki va briller par un talent de comédien et d’écrivain »…


A la question de savoir de quels auteurs Ould Abderrahmane Kaki s’est nourri, Mostefa Abderrahmane proche ami des frères disparus, précise avec netteté et respect : « Ce sont d’abord les poètes et chantres maghrébins tels Abdelaziz Maghraoui, Bensahla, Sidi Lakhdar Benkhlouf, Cheikh Hamada, El Anka… Mais également Bertolt Brecht, Constantin Stanislavsky, Peter Brook, Antonin Artaud, Carlo Gozzi, Eugène Ionesco, Gordon Craig, Irvin Piscator, Jean Vilar, Vsevolod Meyerhold, Augosto Boal, Gabriel Garcia Marquez… »
« De tout cela, ajoute-t-il, Kaki a tenu, malgré la pauvreté des moyens, à faire un théâtre en prise avec la richesse et la complexité de notre personnalité ; un théâtre en prise avec le quotidien ».
Faisant part au public d’un témoignage du dramaturge Said Benyoucef, Directeur artistique au Canada, dans une lettre qu’il lui adressait en date du 17 avril 2017, le conférencier lit ce passage…
« …Un jour l’apostrophant sur Shakespeare à propos d’une certaine controverse, il m’offrit l’ouvrage d’un critique contemporain de ce dernier en lançant : « Pour connaitre un auteur, il faut lire ses détracteurs ! »
« Kaki était habité par les démons de la transgression mais toujours au plus prés des conventions. Il savait parler aux publics présents et pressants
« L’homme n’était pas mystérieux ni distant et ne cultivait aucune posture le mettant sur un piédestal. Il savait écouter ceux qui avaient quelque chose à dire… »

Parmi le public venu participer à cette belle conférence on voit ici de droite à gauche :
Sid Ahmed Zerhouni, professeur d’architecture et peintre ;
Mohammed Ouldmaamar musicien et un des légataires du mythique cinéma CinéLux ;
Benaichouba Benabdallah ancien comédien de la troupe de Kaki, marionnettiste et créateur de marionnettes…


GODOT ENTRE PARENTHESES ?..

A cette Bibliothèque de quartier bellement rénovée et repeinte du vieux quartier de Tigditt, où eut lieu la conférence suivie d’un vibrant et pathétique débat puis d’une magnifique séance dédicace de livres, j'ai rencontré un ancien éducateur de la jeunesse, particulièrement de ce qu'on appelle la délinquance...
Il s'appelle Bentahar Mohamed et avait commencé lui même à jouer dans une pièce de théâtre à l'âge de 16 ans, à Mostaganem, en incarnant le rôle de Carmidès dans une pièce espagnole...
Mordu, comme il dit, pour la lecture du livre depuis le primaire que ce soit en français ou en arabe, c'est juste après l'indépendance qu'il découvre Anna Gréki (même génération d’âge que Abderrahmane KAKI…) en achetant son recueil ALGERIE CAPITALE ALGER à l'époque où la SNED ouvrait une librairie dans presque toutes les villes du pays...
"Pour moi c'est une femme engagée, mais j'ai surtout senti en elle une femme algérienne au sens noble du terme... Ses poèmes sortent du cœur... C'est avec plaisir que j'ai lu son livre en ce début des années 60 et son souvenir est resté gravé dans ma mémoire..."
Après une seconde de silence, il ajoute "Je lui rend hommage, à elle, comme à toutes celles et ceux qui ont défendu l'indépendance de l'Algérie: Alleg, Yveton, Maillot, Audin et tant d'autres"…

Bentahar Mohamed assis, avec face à lui le Docteur Mansour Benchehida et le cinéaste Mostefa Abderrahmane.

Entre un hier pas tout a fait révolu et un aujourd’hui lumineusement explosé au futur, Tigditt couve peut être la venue d’une neuve cuvée d’artistes algériennement mondialisés….


... et merci à Redha Khouane qui nous offre en final cette calligraphie







Abderrahmane Djelfaoui, texte et photos

samedi 15 avril 2017

Scénario pour une école d'enfance…

Denis Martinez me montre une photo qu’il a ramenée avec lui de Blida jusqu’à Tessala. Sur cette reproduction de la classe mixte où il n’était pas présent ce jour là (il avait dix ans) il s’était rajouté en haut, en médaillon. De ce temps d’il y a plus de 65 ans on se demande que sont devenus ces enfants, qui  est encore de ce monde…


Entre lignes d’oliviers et blés verts un printemps inédit borde la montagne Tessala

L’envie de planer dans l’air des champs…

Quand j’arrive dans la rue principale bordée d’oliviers tranquilles du village 
(moins de 10 000 habitants, je crois),
écolières et écoliers vont déjeuner chez eux en famille…



 et je retrouve Denis Martinez à la cantine de la nouvelle école primaire ….

 … avec les étudiants et enseignants de l’école des beaux arts de Sidi Bel Abbes 
(située à 16 kms de là)

qui sont venus réaliser des fresques murales sur des façades que les villageois et la municipalité
ont mis à leur disposition.












Il y a quelques mois, ayant retrouvé par hasard son livre de classe de lecture du cours moyen « des Ecoles Nord-Africaines d’Européens et d’indigènes », Denis Martinez m’avait raconté les souvenirs indélébiles de cette lointaine époque (il vivait alors dans la région agricole de Tessala, où son père était commis de ferme) ; une époque qui fait partie d’un autre monde…


Son livre de classe…




La cour ainsi que le préau de la classe unique mixte de Tessala d’il y a soixante ans, aujourd’hui déserte et abandonnée ; une bâtisse que la municipalité pense me dit-il (peiné) abattre pour construire une salle des fêtes afin de générer des ressources financières pour la commune…
Dans cette seule classe de l’école, m’informe-t-il, l’instituteur enseignait en même temps aux élèves des cours CE1, CE2, CM1 et CM2 qui se répartissaient en quatre rangées, la première (CE1) au fond de la classe, la dernière (CM2) prés de la porte d’entrée… A peu prés comme dans toutes les écoles communales de campagne et même dans les écoles savoyardes de l’époque…
Et Denis d’opiner : « l’instit faisait marcher quatre niveaux, chaque rangée de la classe ayant son occupation et son programme.  D’une année à l’autre on changeait de rangée, pas de classe »… « Les instits eux qui étaient mutés à Tessala à l’époque l’étaient par mesure disciplinaire. Ce qui fait qu’au bout de quelques mois l’instit changeait… » « Une fois dans l’année quand même les élèves venaient avec un couffin préparé par les parents à offrir à l’instit avec soit des œufs, de la galette, ou un  morceau de gigot… »

Devant les escaliers menant à la seule classe de l’école de Tessala en 1951-52

Sur le mur extérieur de l’école abandonnée on peint aussi….



Sur le trottoir d’en face, Denis Martinez est pensif. Les souvenirs, d’autres souvenirs d’enfance fusent… Il me confie que là, juste en face de l’école, se trouvait une épicerie-bar tenue par un membre de la famille Seguy. Un des frères Seguy, raconte-t-il « avait un tic : il ne pouvait pas dire un mot ou faire quelque chose sans que sa tête d’un coup échappe spasmodiquement sur le coté… A chaque moment, toute la journée, toute l’année le même tic… On expliquait qu’un jour étant allé à la chasse, il avait suivi avec son fusil un lapin jusqu’à son refuge prés d’un marabout.  Il tira ; le recul du fusil lui donna un coup violent dans la mâchoire… C’était sa punition pour toujours dit-on… »

A coté de l’épicerie-bar il y avait le maréchal-ferrant spécialiste des roues en bois cerclées de fer. Il y avait également le moulin à grain du village et, dernier et non le moindre : le café maure avec la musique raï de l’époque où, de temps à autre, éclataient de véritables séances d’affrontement des paysans au « matrag » , à la canne ! 
Tout cela à la limite du village, à une cinquantaine de pas de l’église, transformée en mosquée à l’indépendance puis délaissée, pour une mosquée nouvellement construite.... 



Denis Martinez a un bon rapport aux enfants ; où qu’il passe dans le village c’est un échange de questionnements spontanés et de rires… Il les subjugue par son parler blidéen et nombre de ses interjections populaires...On a presque l’impression qu’il est un de leurs maitres d’école (décontracté) dans le village ; leur prof de dessin…



Finalement la leçon (si on peut parler de « leçon ») autour de la question de l’école et de l’enfance, Denis Martinez va la donner à sa manière en duo avec Abdelkader Belkhorissat, Directeur de l’Ecole des beaux arts de Sidi Bel Abbès et proche parent de villageois de Tessala. En peignant eux aussi au final un papillon à quatre mains sur le mur d'entrée de la nouvelle et grande école communale. "Un papillon signe de printemps et de bienvenue"...

(le crédit de cette photo : école des beaux arts de SBA)





Abderrahmane Djelfaoui

mercredi 5 avril 2017

ANNA ANNABA

Le challenge de ce printemps 2017 est de « ramener » Anna Gréki (1931-1966) dans une ville qu’elle a bien connue pour y avoir vécue avec ses parents (son père alors directeur d’école), y avoir écrit un de ses plus longs poèmes critique (« Bône 1956 ») et surtout d’avoir quitté Bouna quelques jours après son 26 ème anniversaire pour être appréhendée, à son arrivée en gare d’Alger, un 20 mars 1957 par les paras de Massu…

Je me remémorais ces durs moments vécus par Anna (« Bône-villa Sesini, un aller simple… », http://djelfalger.blogspot.com/2015/03/bone-villa-sesini-un-aller-simple.html ) tout en regardant par le hublot de l’avion une terre et une mer lumineusement embrumées, « silencieuses »…


… Le port gazier de Skikda (ex Philippeville) où Colette Grégoire (future Anna Gréki) fit de brillantes études secondaires après la seconde guerre mondiale… Une ville lieu de naissance de l’islamologue Malek Chebel (1953-2016) comme du sociologue Ali El Kenz (qui fut un de mes profs à la Fac d’Alger et que j’ai revu avec plaisir au Salon International du Livre de Paris ce mois de mars) ; ville où Mgr Duval (que les pieds noirs méprisants appelaient « Mohamed Duval ») commencera aussi sa carrière vers l’archevêché d’Alger avant 1954 



Alors qu’Annaba se profile au pied du vieux mont de l’Edough, que le complexe sidérurgique multi usines s’allonge démesurément au premier plan dans la riche plaine du même nom, l’avion entreprend sa descente sur l’aéroport …
Les roues n’ont pas encore touché le sol que je relis cet extrait où Anna, en 1956, dans la guerre, évoque la chape de plomb des mercantis coloniaux sur sa ville …

« …Debout sur la colline ronde Saint Augustin
bronzé d’un geste de statue bénit
les tabac-coto-toma-coop industrielles
salvatrices d’un surplus exclusivement agricole
bienfait fumeux douillet juteux.
Dans la vapeur humaine et grasse des Choumarelles
lavant leur cul dans la Seybouse
enrosée de fleurs de pêchers
précoces – comme un zeste de citron la lune
aromatise la pâte humiliée qui gonfle.
Avec un famélique entrain les gosses dorment
dans leurs habits fiévreux qui s’évaporeront
demain prés du poêle de la classe
au dent de lait… »

Et en moins de temps qu’il ne faut pour chercher tous les beaux mots du monde, me voila au centre de la cité, longeant sa Place de la révolution et ses magnifiques ficus d’hier et d’aujourd’hui avec en perspective l’hôtel Sheraton nouvellement édifié …



En moins d’une journée je me rends compte que ce nouvel et très imposant édifice de verre est l’objet d’un débat contradictoire des jeunes sur les réseaux sociaux. Les uns sont pour ; d’autres, l’amalgamant au boom qatari, sont contre estimant qu’il vient troubler un ordre spatial et temporel qui n’est pas le sien…
J’observe et j’écoute… Sous l’ombrage extraordinaire des arbres du Cours où je sirote un café dans une mignonne petite tasse (non pas un jetable, s’il vous plait) je regarde une jeune fille assise à sa table, ignorant les dizaines d’hommes qui l’entourent… Je sors le cahier qui m’a servi de bloc de voyage à Paris et j’écris sur le champ :

« Sous des arbres centenaires
sirotant souvenir d’un café avec ombres
et feuilles qui jonchent le sol le rêve et la détente
à trois tables de la mienne
une jeune fille est face à moi cheveux lâchés
devant sa crème citron qu’elle goûte
d’une cuillère et d’une paille
plus son smartphone adoré
à qui elle livre ses petits secrets »

Anna Gréki n’écrivait-elle pas elle-même à la fin de « Bône 1956 » :

« Je transcris avec des mots ce qui se fait sans paroles
Les horizons bornés s’élargissent un beau matin
avec des mains qui retournent l’ombre »….


A droite des tuiles rouges : la rue de la Bibliothèque Principale de lecture publique où je suis invité à présenter mon livre sur Anna Gréki... Si l’on bifurque et l’on continue quelques centaines de mètres l’on se retrouve dans le populeux « Marché aux grains »… Derrière les tuiles rouges : le Cours de la Révolution avec le café-kiosque et terrasse de feu Berrabah où je pris mon café et au fond, montant vers les nuages, les fumées blanches de l’usine Fertial d’ammoniac sur les rives de la Seybouse ; rives qui ne sont évidemment plus ce qu’elles étaient…


Et dans cette ville légère, encastré entre quelques buildings,
un arbre de vie poétique...

*

A la salle de conférence de la Bibliothèque, en présence du poète Driss Boudiba également Directeur de la culture de la wilaya d’Annaba, la jeune lycéenne Arij Boulenouar, présentée par la Directrice de l’institution, madame Saléha Nouacer, me fait l’honneur d’introduire la séance en lisant son poème: « Jenett el ouroud » (« Paradis des fleurs ») .



Puis c’est à mon tour de prendre la parole pendant prés d’une heure pour « conter » Anna Gréki à travers de multiples anecdotes de son attachante et dense vie (une courte vie qui n’aura duré que 35 ans…) allant de la petite enfance dans les Aurès jusqu'à ses dernières activités après l’indépendance, en passant par Collo, Bône, la Sorbonne à la veille de 54 puis les années d’humiliations partagées avec une quarantaine de ses sœurs à la prison de Serkadji, parmi lesquelles Djamila Bouhired, Zhor Zerari, Nassima Hablal, Janine Belkhodja, Nelly Poro, Eliett Fatma Zohra Loup, Fadila Dziria et tant d’autres…



Après une lecture de poèmes (« Menaa » et « Le camp »), un débat vivant s’installe. Auditeurs et auditrices se disent étonnés et fiers du parcours d’une militante poétesse dont ils avouent n’avoir rien su jusqu’à ce jour… En présence de Tahar Neyha, conseiller culturel de la Bibliothèque qui fait circuler le micro, de vives interrogations sur l’accession à la traduction en arabe de la poésie d’Anna Gréki réalisée par Tahar Chériaa il y a plus d’un demi siècle, sur l’état réel de notre patrimoine immatériel, comme sur sa pleine connaissance, sa préservation et sa transmission sont posées, soulignées, développées…



J’invite alors l’ami Said Dahmani, historien du Maghreb médiéval (particulièrement des travaux d’Ibn Khaldoun), qui participa aux chantiers de fouilles de Honayn et de la Kal’at B. Hammad, Conservateur en Chef Honoraire du site et du musée d’Hippone à venir dialoguer avec moi avec la salle. Ce qu’il fait avec une netteté du propos et une tranquille franchise…




Puis arriva le moment des dédicaces, approche
des visages…

Avec Khadra Belhadef initiatrice-agitatrice de tant de rencontres

Khadra qui m’aida à transporter mon lourd caba de livres ramené d’Alger jusqu’à la Bibliothèque

Avec Yasmine Gamâoune, conseillère culturelle (à droite) 
et ses amies

Avec Seloua Lamiss Messai, poétesse et journaliste (à gauche

Avec la poétesse Marie Meriem, auteure du recueil 
« Face à la mer » présenté au SILA


Avec Monya Ziane (artiste peintre) et M. Fassih (professeur de lettres arabe à l’université)


Avec le syndicaliste Belabed Mounir qui a tenu à ce que je dédicace le livre à ses trois charmantes fillettes



Avec Tahar Neyha (debout), conseiller culturel ; Mounir Gouri, artiste plasticien ; Seloua Lamiss Messai, poéte-journaliste ; Khadra Belhadef, agitatrice culturelle ; Monya Ziane, artiste peintre ; moi-même ; Foued Saadaoui, historien de l’art ; Mohamed, agent bibliothécaire ; El hadi Hamdikène, photographe.


Tous ces visages pleins de vie, d’allant, d’espoir tendre ou piqué d’humour ne m’en rappellent pas moins ces quelques vers d’Anna Gréki extraits de « ALGERIE CAPITALE ALGER » :

« … Surface de nos visages si vulnérables
Avec des meurtrissures secrètes autour
Des yeux au coin de la bouche – Volubilis
et bouquet de diss – surfaces de nos visages…. »

Et le voyage d’Anna continue le lendemain à une quinzaine de kilomètres d’Annaba, en altitude, sur la montagne de Seraidi… Rapide visite sous une pluie froide à l’hôtel du Ksar (El Mountazah), conçu à flanc de falaise par Pouillon…

Une photo de l’ami photographe El Hadi Hamdikène

Puis nous allons rejoindre au centre du village le petit restaurant-jardin « Forest Grill » (ex « Clairière ») que tient d’une main avisée et douce Karima Chibane, informaticienne mais également écrivain à ses heures… Elle m’apprend qu’elle avait acheté « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre » à Alger, avait commencé à le lire, mais que sa mère le lui a pris… Comme il me restait un exemplaire dans un sachet à l’emblème de l’éditeur, je me suis offert le plaisir de le lui dédicacer sur une table de son charmant restaurant en attendant que nos pizzas cuisent…



Notre hôtesse recevant Anna




Seraidi vu d’avion dans la lumière rasante de fin de jour…

… 48 heures c’est vraiment trop court et cela ne m’a pas permis d’aller à la recherche du domicile de ses parents à Annaba, des itinéraires qu’elle-même faisait dans cette ville, ses ruelles de villas et jardins, ses environs, ses forets et ses plages…



Retour blanc mousseux sur l’ALGERIE, CAPITALE ALGER….



Abderrahmane Djelfaoui