vendredi 8 décembre 2017

LES 70 ANS D’UN CINÉASTE ALGÉRIEN (ENCORE) JEUNE

Fin novembre,  je suis invité en tant que conférencier au « 4eme Panorama du film révolutionnaire » organisé à la salle Cheikh Hamada au centre de Mostaganem ; une salle de la cinémathèque nouvellement rouverte …

Abandonnée durant un quart de siècle, disent les mostaganémois, cette salle a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale par le fait que les travaux de rénovation sont estimés à quelques 10 milliards de centimes….

Banderole du « 4eme Panorama du film révolutionnaire » à un carrefour du centre ville
voisinant avec les dernières affiches électorales …

La manifestation de 14 films et 4 conférences devait s’ouvrir le 28 novembre au matin avec  « Les enfumades du Dahra. Un crime de la Civilisation » du cinéaste Mostefa Abderrahmane. On avait, pour souligner l’importance de ce long métrage (qui relate aussi un fait tragiques survenu dans les monts du Dahra à 60 kms de Mostaganem) invité l’historien français Gilles Manceron (membre de la ligue des droits de l’homme), l’un des 4 historiens intervenant dans ce film sur les crimes commis par l’Armée d’Afrique au 19 éme siècle, l’armée coloniale commandée par le général Bugeaud un ami de Victor Hugo…
Mais le long retard de la délégation ministérielle et de wilaya retenue à l’Université pour un autre colloque international de pays arabes sur l’image…. va faire que « Les enfumades… » sera différé à quatre jours plus tard, en fin de Panorama…  
Ironie (ou ruse ?) de l’histoire : ce premier jour se trouve être le jour anniversaire du cinéaste Abderrahmane Mostefa qui fête ses 70 ans …


70 ans de vie dont plus d’un demi siècle voué à l’activité théâtrale, à la photographie et au cinéma…

Qu’à cela ne tienne ! Puisqu’il est plus de 13 heures, la  vingtaine d’invités du festival est conviée par Halim Rahmouni, l’organisateur du Panorama, à déjeuner au quartier de La Salamandre, en bordure de mer…


Paisible et magnifique panorama de la baie de Mostaganem et d’Arzew dont on voit se profiler la cote au fond, face aux jetées du nouveau port de pêche de la Salamandre…Une baie caressée par les vents et que traverse le méridien de Greenwich que l’on appelle aussi « le méridien origine » qui part de la mer de Norvège, traverse Londres, le Havre, Stidia dans le département de Mostaganem pour continuer sa ligne de fuite à travers  le Sahara, le Burkina Faso puis, très loin, vers le pôle sud, l’Antarctique…
La Salamandre est le quartier aimé d’Abderrahmane Mostefa depuis son adolescence quand sur toute sa plage s’égrenaient de petits cabanons de bois sur pilotis !... Que de souvenirs… Mais cela est (encore) une autre histoire !

La Salamandre, il y a une vingtaine d’années… Une peinture de Hachemi Ameur
(longtemps Directeur de l’Ecole régionale des beaux arts de Mostaganem)



Installés au  restaurant « Le Mauresque » (dont Halim Rahmouni a signé l’aménagement intérieur) je vois derrière moi le réalisateur Tv  Mohamed Hazorli avec le comédien principal de son film « La douleur » ainsi que le cinéaste et universitaire Mohamed Bensalah d’Oran qui sont en discussion animée ponctuée de rires… A ma table il y a Abderrahmane Mostefa, Miloud Badredine, un cadre de la jeunesse, et Mohamed Ouldmammar , musicien, dont le père et l’oncle furent gérants des salles de cinéma LE COLISEE et LUX de la ville…
La discussion roule d’abord sur un dernier fait tragique qui agite la ville de Mostaganem ; le repêchage dans les filets d’un bateau de pêche du corps décomposé d’un jeune harag… Puis par je ne sais par quelles associations, Abderrahmane nous raconte « l’histoire d’une image » comme il l’appelle. Celle d’une photo « de la guerre d’Algérie » en attente depuis au moins 20 ans dans un de ses projets…


Cette prise situe un épisode atroce de la guerre de libération à Saida, en 1958/59. Les harkis du commando Georges ont réussi à capturé trois moudjahidine dont une femme. Pieds nus dans la neige, ils les font piteusement défiler en ville… Exprès, ils ont mis des poignards dans la bouche de deux moudjahid qui ont les mains attachées derrière le dos… Le photographe le sait et ce photographe « inconnu » n’est autre que Arthur Smet, surnommé « l’œil de Bigeard » alors officier supérieur à Saida… Le vrai scoop ? C’est qu’Abderrahmane Mostefa vient tout récemment, par hasard, de rencontrer cette moudjahida que l’on voit en noir et blanc au premier plan… La question du réalisateur au jour de son 70 ème anniversaire est terrible : aura-t-il le temps pour monter financièrement la possibilité d’un film témoignage avant que cette héroïne ne décède ?...

Revenant de la Salamandre vers la salle de la cinémathèque, nous croisons sur le trottoir Nasser Hadjaj, parolier et déclamateur de talent du chi’r el melhoun (poésie populaire orale) à Mostaganem ; « un poète que l’on pourrait comparer à Dakfali qui a été le parolier du chanteur chaabi Chaou à Alger », me dit Mohamed OuldMammar, musicien et proche collaborateur de Abderrahmane Mostefa sur la plupart de ses films documentaires…

Nasser Hadjaj et Mostefa Abderrahmane «à un jet de pierre » de la cinémathèque…

… « Augustine », du réalisateur égyptien Selim Seif (déjà projeté à Alger en septembre dernier) est la première projection ce 28 novembre à 15 heures à la salle Cheikh Hamada. Film dans le film, avec d’incessants allers-retours entre notre 21 ème siècle et la fin de l’antiquité romaine, ce long métrage d’une pédagogie frémissante est centré sur le processus d’éducation d’un jeune berbère romanisé du nom d’Augustinus entre Mdaourouch, Souk Ahras et Carthage, avant même que ce personnage rebelle ne devienne l’universel Saint Augustin d’Hippone (Annaba) que nous connaissons un peu mieux aujourd’hui en Algérie…
Nous étions plus qu’aux deux tiers du film quand un coup de fil nous fit sortir discrètement de la salle, Abderrahmane Mostefa, Mohamed Ouldmammar, Miloud Badredine, Belkacem Meftah, photographe, Sadek Mahjouba, cameraman et moi-même. Direction la Bibliothèque Principale de Lecture Publique dont la Directrice, Madame Hayet Mammeri, nous invite à une petite rencontre amicale et familiale pour… célébrer l’anniversaire des 70 ans d’Abderrahmane Mostefa, cinéaste de la mémoire….


Amis et famille réunis autour d’un jeune créateur….



 Madame Abderrahmane Mostefa et Madame Hayet Mammeri, Directrice de la BPLP

Le cadeau de l’amitié fait par Mohamed Ouldmammar…

Mais le grand cadeau « de chaleur humaine » pour l’artiste qu’est Abderrahmane Mostefa entouré de sa famille et d’amis, c’est de recevoir ému des mains de Madame Hayet Mammeri le premier exemplaire de son beau livre, « Les chemins de la mémoire »…
Son livre de photographies dont le destin avait si mal tangué d’un éditeur à l’autre, pendant prés de dix ans, avant qu’il ne soit enfin là ! Et Madame la Directrice de la Bibliothèque Principale de préciser : « ce ne sont que les premiers exemplaires reçus, le reste est encore sous douane… » Et Mostefa Abderrahmane de la remercier avec humour: « Maintenant je suis rentré dans la préhistoire, Madame »…




Une des photos de ce beau livre, où l’on voit Hadj Mohamed Fellah, un des descendants de la tribu des Ouled Riah (Dahra), décimée par le colonel Pélissier, une nuit de juin 1845, et qui transmet à un Nagra son témoignage oral de l’enfumade de la grotte de Nekmaria où périrent plus de 1000 de ses aïeux, femmes, hommes, enfants et vieillards…

La simplicité de l’ami Mostefa Abderrahmane est telle que pour esquiver les félicitations qui fusent, il se met à nous raconter (mais par quel détour de mémoire?) une anecdote vécue avec Abdelkader Alloula… Notamment le rapport humain du grand dramaturge avec les enfants cancéreux d’Oran pour lesquels il avait, entre autres, acheter des dizaines de couvertures et les avait transporté au centre anti cancéreux lui-même. Le directeur lui ayant proposé un chèque en contrepartie, Alloula s’était énervé et menacé de ne plus adresser la parole à aucun élément de l’administration si on s’entêtait à vouloir lui libellé un chèque. Pour lui, son geste n’était qu’un humble don fait aux enfants pour les protéger du froid ; lui proposer de l’argent c’était à la limite de l’insulte…


Mars 1994: Enterrement de Abdelkader Alloula, les femmes de son quartier; 
photographie de Mostefa Abderrahmane


L’esquive par le biais de Alloula est de haut vol, pourrait-on dire, quand on sait (un peu) quel est le programme de travail du cinéaste et sa petite équipe sur les douze derniers mois.
Récemment un documentaire de 30 minutes sur le dramaturge Ould Abderrahmane Kaki, tourné à Tlemcen, Oran et Mostaganem avant d’être présenté au Salon International du Livre d’Alger 2017.
Finitions d’un film de moyen métrage sur le photographe algérien Khattab Hadjeba vivant à Lausanne depuis 1958 et revenu en pèlerinage dans sa ville natale, Mostaganem, avec une importante exposition de ses œuvres…
Portrait en cours de tournage de l’architecte, peintre et photographe Sid Ahmed Zerhouni.
Toujours en montage avec les moyens du bord, un court métrage tourné en 2016 sur un bouquiniste résidant avec ses livres et ses disques d’occasion dans sa propre voiture en panne (une vieille Lada russe), dans une rue sans issue, à Oran, au bout de laquelle passent et repassent les tramways…
Enfin « Les enfumades du Dahra. Crime de la civilisation » qui devait être projeté en avant première ce 28 novembre (date anniversaire du cinéaste) et où interviennent pas moins de quatre historiens chevronnés, deux de France (Olivier le Cour Grandmaison, Gilles Manceron) et deux d’Algérie (Amar Belkhodja et Fouad Soufi)

Mostefa Abderrahmane, un jeune homme toujours à pieds, au croisement central de la cité de Mostaganem
 et nos mémoires….




Abderrahmane Djelfaoui,texte et  photographies



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